Nous avons interviewé Nic Endo peu de temps avant le concert. Les balances donnaient le ton d'un concert chargé en RDB… Hanin, l'autre élément féminin du groupe était d'ailleurs allée se reposer les tympans en ville… entretien avec la petite fée de la technologie Atari Teenage Riot..
Nic : Depuis 3 ans que j'ai quitté la Bavière pour Berlin, je suis dans A.T.R. Au départ, je faisais des trucs plutôt simples au niveau du chant (ou disons plutôt des cris) comme au niveau du son, puis je m'y suis mise rapidement, juste en essayant le matériel d'Alec à la maison. Cà n'était pas vraiment des répèts, mais de l'exploration : comment obtenir ce son de cette manip.
Bib : Tu as surtout progressé par curiosité en fait ?
Nic : Bien sûr, c'est de la curiosité, mais je dois dire que j'ai toujours porté un intérêt particulier au son, surtout de ce type-là. J'ai fait un disque de pur son japonais, YTTP, et la plupart des gens ne comprennent pas pourquoi je fais ce genre de truc. Pour eux, ça n'est pas de la musique parce qu'il n'y a pas la structure classique dont on peut avoir l'habitude en Occident avec une basse, une guitare et tout ça. Ils sont perdus devant ce qui leur apparaît comme une anarchie sonore, un véritable capharnaum. Pourtant, j'y trouve une structure bien précise, c'est très organisé en fait, même si c'est une musique très libre, je la qualifie généralement de Free Jazz. Le premier son que j'ai obtenu du SH101 m'a donné l'impression que j'allais enfin pouvoir faire passer, transposer mes émotions et mes sentiments de la façon la plus directe et la plus pure possible, au moins en ce qui me concerne. Pour Hanin, l'émotion passe par les cris, la voix. C'est comme ça qu'elle s'exprime, qu'elle se libère alors que je me retrouve dans cet éclatement sonore (elle émet alors un son un peu comme prrrrrroufffff, très grave), dans ce bruit.
Bib : Tu adoptes donc une démarche expérimentale et spontanée .... Nic : Oui, je me sens complètement libre, je n'ai aucun concept de base, rien n'est pré-construit. Je ne programme rien, je n'ai recours à aucun montage ou séquences, je branche tout et je me lance. C'est un processus très spontané et forcément unique puisque c'est intimement lié à un moment précis. Je ne peux pas refaire vraiment le même bruit, c'est toujours différent d'où l'intérêt des concerts. C'est ce que je trouve si excitant dans cette musique. Pour Atari Teenage Riot, le son est censé représenter le bruit des gens pris de colère ou d'excitation et c'est ça que je tente de recréer.
Bib : Est-ce que tu dirais que la musique d'A.T.R. est violente et agressive ou qu'elle joue plutôt un rôle exutoire? Le mot révolution est pour le moins récurrent dans votre discours…
Nic : En fait ce qu'on fait provient directement de notre style de vie et de ce à quoi on est confronté quotidiennement à Berlin. Je ne pense pas qu'on pourrait faire cette musique si on n'était pas profondément en colère et révolté. Face aux circonstances politiques actuelles en Allemagne, j'ai l'impression que je n'ai pas d'autre choix que de faire de la musique. La musique est avant tout une forme d'action et d'autodéfense, si tu vois ce que je veux dire. Dans A.T.R., les paroles et la musique sont intimement liées, mais la musique peu aussi fonctionner de façon autonome. Quand tu écoutes la musique, elle te réduit à un niveau émotionnel intense, tu n'as pas besoin des mots vraiment, tu sais directement de quoi il retourne, ça te prend aux tripes. Les paroles, elles, posent les choses de façon explicite, sans équivoque.
Bib : Quel effet ça te fait de te retrouver sur une scène devant une foule complètement déchaînée ?Nic : C'est trop bon !
Bib : Tu as peur des fois ?
Nic : En général, non. Quand des gens envahissent la scène et sautent partout, je crains surtout pour le matériel en fait, pas pour moi. Il y a quand même des moments où la peur nous prend au ventre. Une année, on a joué à Berlin pour les manifs du premier mai. Une marche est traditionnellement organisée ce jour-là par des mouvements de gauche, anarchistes et anti-fascistes. Ces événements se finissent régulièrement en émeutes opposants les manifestants aux forces de l'ordre. Cette année, on avait décidé joué pour cette occasion, alors on a improvisé une scène sur un gros camion. Le concert était génial, il y avait du monde partout dans les rues et tout se déroulait pour le mieux, très calmement. Pourtant, à la fin de notre perf, l'ambiance a changé du tout au tout : les policiers ont soudain agressé des manifestants. Il est clair pour nous qu'ils les ont attaqués sans raison, si ce n'est pour que la manifestation dégénère. Ils avaient apparemment tout planifié pour que l'événement s'achève dans la violence et discrédite ainsi la démarche dans son ensemble. Les policiers n'ont pas hésité à charger tout le monde, frappant et usant de bombes lacrymogènes. La violence était telle qu'à un moment je sentais les casques des flics derrière mes jambes, les pierres volaient dans toutes les directions et il devenait impossible de chanter à cause des lacrymo… j'ai du mal à tout décrire, c'était juste l'un des moments qui m'ont fait le plus peur.
Bib : Vous avez arrêté de jouer alors ?
Nic : Non, pas du tout, on s'est dit qu'il fallait qu'on continue malgré tout. Je pense que c'est l'une des caractéristiques d'A.T.R., la musique peut stimuler les gens sur ce niveau émotionnel dont je parlais.
Bib : N'est-ce pas là la raison pour laquelle on vous critique ? On peut vous accuser de promouvoir la violence…
Nic : Bien sûr, après les émeutes la police a prétendu qu'on était responsables des débordements. On a été arrêté du coup, mais les groupes anti-fascistes sont bien organisés sur ce plan-là et ils ont beaucoup de contacts avec des avocats. Au début de la manifestation, tout le monde prend le numéro de téléphone d'un avocat pour qu'il puisse l'aider en cas de problème. C'est ce qu'on a fait nous aussi, et l'avocat nous a fait sortir après deux ou trois heures passées au poste.
Interruption causée par Alec, venu en backstage pour se restaurer…
Nic : Est-ce qu'on peut continuer quand il sera parti ? Si Alec est à côté de moi quand je fais une interview, il intervient toujours dans la conversation, il ne peut pas s'en empêcher, il doit absolument parler, surtout quand il n'est pas d'accord avec moi, ça me rend dingue.
La tranche de brie n'était en fait qu'un prétexte pour partager son excitation : il venait de voir qu' A.T.R. était crédité sur le dernier Rage Against the Machine pour qui ils ont fait leur première partie plusieurs fois….
Nic : Les membres d'A.T.R. ont plusieurs fois eu des déboires avec des skin-heads, qui forment une minorité non négligeable, surtout à Berlin est, pendant les concerts. Mais ce ne sont pas les skin-heads qui me font le plus peur, c'est plutôt l'orientation de plus en plus conservatrice du gouvernement allemand. Bien sûr, je n'ai pas vraiment envie de tomber nez à nez avec un skin-head toute seule la nuit, mais ça n'est pas le plus grave à mon sens. Les autorités actuellement sont à mon sens bien plus dangereuses. Je ne me sens pas libre de vivre comme je l'entends et cette uniformisation tout azimut oppresse tous les individus. J'ai plus peur de la police que de n'importe qui d'autre.
Bib : Comment ça se passe sur le plan des relations mecs-nanas dans A.T.R.? Y-a-t'il un vrai côté égalitaire ? Te considères-tu comme féministe ? Est-ce que Karl et Alec sont féministes ?
Nic : Oui, Alec l'est, sans problème, il avait même choisi un cours sur le féminisme au lycée. Karl, je sais pas trop, il est plutôt du genre football-bières-salopes, si tu vois ce que je veux dire. De toute façon, le fait d'être un groupe mixte, deux filles et deux mecs, entraîne forcément une certaine tension. Hanin pourrait parler plus longuement sur ce sujet, parce que je pense qu'elle en a pas mal bavé quand c'était la seule fille du groupe. C'était dur pour elle de se faire entendre, de réussir elle aussi à imposer ses idées sur la musique ou sur l'organisation du groupe, de leurs orientations et projets…etc. Son plus gros problème, pourtant, je pense que c'était avec la presse et les journalistes. Ca correspond aussi à une période en fait, il n'y a pas si longtemps, il y avait encore beaucoup plus de garçons que de filles dans le rock en général et la musique électronique en particulier. La tendance générale a changé recèmment, le nombre de filles a considérablement augmenté.
Bib : Penses-tu que ce phénomène soit dû au mouvement Riot Grrrl du début des années '90 ?
Nic : Bien sûr, en partie, mais je crois que tout est lié en fait. Que ce soit la présence d'une Kathleen Hannah, d'une Tobi Vail, d'une Donna Dresch, ou tout simplement la notre, on a permis de présenter de nouveaux modèles. Dans A.T.R., par exemple, des filles diront 'tiens, il y a deux filles dans le groupe qui font des choses totalement différentes ; elle fait de la musique hard, du bruit et l'autre joue, hurle, livre sa colère nue au public.
Bib : Ca a d'autant plus d'importance que la culture occidentale limite les femmes à des clichés de douceur et de soumission, en opposition radicale avec l'attitude agressive que vous pouvez avoir dans A.T.R.
Nic : Oui, je pense qu'il est important de pouvoir aussi montrer son côté agressif, de détruire ces stéréotypes malsains. Je ne fais pas des mélodies agréables à entendre, légères et de son côté, Hanin n'utilise pas sa voix comme on s'attendrait à ce qu'une femme le fasse, elle hurle. A.T.R. joue selon moi un rôle important dans la représentation féminine. La musique électronique est encore un milieu relativement fermé aux femmes, et je pense qu'en se dévoilant comme on le fait, on peut jouer le rôle de modèle pour certaines filles. Pour moi, par exemple qui ai grandi dans un petit village de Bavière, je n'avais pas accès à toute la culture alternative féminine des Etats-Unis, il n'y avait pas de disquaire et les albums de Bikini Kill ou même ceux de punk plus traditionnels comme X-Ray Spex étaient carrément introuvables. Alec et Hanin m'ont fait écouter ces disques quand je les ai connus, j'avais alors 20 ans, et je regrette de ne pas avoir entendu ça avant ! Je pense que c'est le rôle que peut jouer A.T.R. maintenant pour des filles plus jeunes. Bien sûr, il y a quelques filles dans la musique électronique, mais elles sont DJ principalement et leur place est encore assez minime pour rester dans le domaine de l'exception. Elles sont cachées, pour la plupart, elles occupent rarement le devant de la scène. Du coup, elles doivent faire deux fois plus d'effort que les mecs pour se faire entendre. C'est d'ailleurs pour cela qu'Hanin a fondé DHR Fatal.
Bib : Quelques pages seulement présentaient ce projet dans le fanzine de DHR, peux-tu nous en parler de façon plus précise ?
Nic : C'est en fait un label qu'elle a monté il y a très peu de temps et qui est le résultat de toute une réflexion sur l'oppression du sexisme occidental. On peut dire que c'est une idée assez proche de la démarche des Riot Grrrls. Le premier disque sorti sur DHR Fatal était mon YTTP, puis j'en ai sorti un autre peu de temps après mais il est sur la liste de distribution d'un autre label. Le truc, c'est que tu peux être d'accord avec les idées de DHR Fatal en ce qui concerne le sexisme, peu importe si t'es un mec ou une fille. Le logo de DHR Fatal représente une fille avec un flingue, mais c'est très symbolique et ne répond pas à une attente séparatiste. In Flakes, le premier album solo de Hanin devrait sortir bientôt sur DHR Fatal qui compte aussi un autre groupe, britannique celui-là, qui s'appelle Lolita Storm, composé de 3 filles et d'un garçon. Ils seront distribués par DHR.
Bib : Peux-tu nous expliquer la raison de la collaboration de Kathleen Hannah sur 60 Seconds Wipe Out ?
Nic : Un truc tout simple en fait, quelqu'un nous a dit qu'elle aimait beaucoup ce qu'on faisait, puis Hanin l'a rencontrée à New York et elles ont tout de suite accroché. En fait, c'était presque une coïncidence qu'elle soit sur ce disque : ils enregistraient 'No Success' à New York, alors Hanin a passé un coup de fil à Kathleen pour lui proposer de chanter, et elle a accepté. Tout a été très spontané. C'était génial parce qu'on était tous fans aussi bien de Bikini Kill que de Julie Ruin, le projet solo de Kathleen. On était très flattés qu'elle travaille avec nous.
Bib : Quels sont les groupes que tu aimes en ce moment ?
Nic : C'est difficile à dire, je suis plus intéressée par des disques plus vieux que par ceux qui sortent en ce moment. Il n'y rien de vraiment nouveau dans ce qui est sorti récemment je trouve, à part peut-être des groupes de Hip-Hop, comme Company Flow, par exemple ou encore The Arsonists de New York qui ont d'ailleurs participé à 'Anarchy 999' et No 'Success' sur l'album d'Atari. Je les trouve vraiment excellents ! A part ça, j'écoute surtout des disques plus classiques.
Bib : Du genre ?
Nic : J'ai grandi en écoutant beaucoup de Jazz, du Bee-Bop et du Free Jazz, et maintenant je suis plutôt passée aux disques de Sun Ra, Miles Davis, Ornette Coleman*…. En plus de ça, j'aime des groupes plus noise comme Throbbing Gristle, ou des artistes japonais comme Merzbow ou encore Massona.
Bib : Tu parles Japonais ?
Nic : Hélas non. J'étais bilingue quand j'étais petite, mais j'ai tout perdu parce que je parlais anglais, puis allemand à mes camarades de classe. Ma mère a continué à me parler en Japonais pourtant, mais c'est toujours les mêmes phrases alors du coup j'ai un vocabulaire pour le moins limité. Je mets au moins trois semaines à comprendre quand je vais au Japon.
Bib : Tu y vas souvent ?
Nic : J'essaie, parce que toute la famille de ma mère est encore là-bas. C'est la dixième enfant de sa famille, alors je vous laisse imaginer combien j'ai d'oncles, de tantes et de cousins… On y est aussi allé avec le groupe, en fait on a fait une tournée d'une semaine au Japon le mois dernier. On a joué à Tokyo, Osaka et Nagoya. C'était incroyable cette euphorie et cette énergie générée par le public, on n'avait jamais vu ça avant. On dirait qu'ils dépassent toujours les bornes au Japon, c'était fou et tellement agréable ! Quand on est arrivé à Tokyo, il y avait une foule énorme à l'aéroport. Au début, on s'est dit qu'il y avait une star qui était attendue, mais en fait, ils étaient là pour nous. On ne sait pas comment ils ont su qu'on arriverait par cet avion-là, on a halluciné.
Bib : As-tu été influencée par le punk aussi? Pour ma part, je retrouve un peu de l'attitude punk dans l'approche d'A.T.R…
Nic : Malheureusement, je n'ai pas eu accès à des disques de punk quand j'étais plus jeune. Le seul groupe punk de cette période que je connaisse un peu, c'est X-Ray Spex, mais c'est tout, à la différence d'Alec et Hanin. Par contre, je pense qu'Atari a une démarche punk dans son amateurisme et sa spontanéité. Pour moi, le punk c'est de dire 'je connais rien aux ordinateurs, mais je le fais quand même, fuck !' Et c'est ce que j'essaie de faire. Le punk en fait, c'est la liberté pour moi parce que ça a un aspect frais et direct qui va à l'essentiel.
© Babes in Boyland 1999 / interview parue dans Jade. https://nicendo.bandcamp.com * déduction phonétique
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